La finance islamique arrive en Europe. Développée dans les années 1940 selon les principes de la charia, la loi coranique elle interdit l’intérêt, l’incertitude et le hasard. Le Royaume Uni et plus récemment le Luxembourg ont franchi le pas, attirés par ce créneau qui ne connait pas la crise.
Le 25 Juin dernier, le Royaume Uni est devenu le premier pays occidental à émettre un sukuk (obligation d’Etat conforme à la finance islamique) qui a permis de lever 200 millions de livres. Si le Royaume Uni fait figure de précurseur dans le monde occidental, la Saxe-Anhalt, länd allemand avait en 2004 tenté l’aventure de la finance islamique. Aujourd’hui elle représente 400 à 500 milliards d’euros d’investissement à travers le monde. Pour Londres cette première émission s’inscrit dans une stratégie d’attraction des capitaux du golfe avec pour objectif final, faire de la City « le centre occidental de la finance islamique. » selon le ministre des finances George Osborne.
Quelques mois plus tard, c’est le Luxembourg qui se laisse prendre au jeu de la finance islamique. Le Grand Duché a émis le 1
er octobre 200 millions d’euros de sukuk devenant ainsi le premier pays de la zone euro à émettre ce type de produits. Encore une fois l’objectif est clair: obtenir de la visibilité afin d’attirer des fonds vers la place du Luxembourg. «
Les sommes levées sont loin d’être importantes au regard des besoins de financement de ces deux pays » indique Kader Merbouh, directeur du master consacré à la finance islamique à l’université Paris-Dauphine
. « Elles sont même symboliques ce qui m’amène à dire qu’on est plus dans une stratégie marketing afin d’attirer des investisseurs. »
Une finance dite alternative
Si elle séduit c’est parce qu’elle se veut plus éthique que la finance traditionnelle. Les transactions commerciales sont soumises à trois interdictions fondamentales : les intérêts, l’incertitude et le hasard.
« C’est un grand principe en droit islamique qui veut qu’on autorise le commerce mais qu’on interdise l’intérêt » précise Kader Merbouh.
Concrètement, la finance islamique interdit la rémunération des prêts, les jeux de hasard et la spéculation.Contrairement à la finance dite traditionnelle, elle comporte nécessairement une dimension éthique. En effet, l’investissement doit être lié à des actifs réels, l ’investisseur et le client sont partenaires, autant pour les risques que pour les profits.
« On parle de capitalisme à visage humain, ici c’est la finance qui revêt un visage humain » ajoute Kader Merbouh. Quant au sukuk, il doit être adossé à un actif dit tangible (actif matériel) comme par exemple un bâtiment dont le rendement permet de rémunérer le placement. De plus, il doit obtenir l’agrément d’un collège de charia qui vérifie que le produit ne peut pas offrir d’intérêts.
Dans le cas du Luxembourg, le pays a cédé des immeubles dont il était propriétaire à un véhicule étatique qui loue les biens en retour. Le loyer servant au versement des intérêts. Parallèlement, le Luxembourg tout comme le Royaume Uni a eu besoin du feu vert de son parlement afin d’autoriser le transfert de propriété.
Un marché en plein boom
L’année 2014 s’annonce déjà comme un excellent cru pour le marché de sukuk avec plus de 33 milliards de dollars émis par des Etats et des entreprises dans le monde soit un bond de 45% d’après la plateforme de développement Déalogic. En 2013 déjà, la finance islamique avait mobilisé près de 1300 milliards de dollars.
L’Afrique du Sud s’est elle aussi laissée séduire par la finance islamique en plaçant 500 millions de dollars d’obligations en sukuk en septembre dernier. Les banques prennent également d’assaut les différents produits islamiques. Goldman Sachs par exemple, a lancé en septembre une émission remarquée d’un montant de 500 millions de dollars devenant ainsi le 4
ème émetteur américain à faire des sukuk.
La France beaucoup plus frileuse
La France quant à elle demeure à la traine de ses voisins européens et ce malgré la volonté politique affichée de développer ce secteur. C’est Christine Lagarde alors ministre de l’Economie qui en 2009 tenta de mettre en œuvre un cadre juridique permettant le développement de la finance islamique en France. En vain.
« Ce projet a été complètement enterré » indique Kader Merbouh. «
Avec la première communauté musulmane d’Europe, la deuxième économie de la zone euro et enfin une position géopolitique favorable avec les pays du Golfe la France a tous les atouts pour être un leader en finance islamique. » Selon lui, ce sont les polémiques à répétition sur la religion musulmane qui ont braqué les politiques.
Les banques françaises elles, sont présentes sur ce créneau. La Société Générale, première banque française a lancé un sukuk à 300 millions de dollars en Malaisie en Aout 2013. Une première. Autre banque impliquée dans la finance islamique : la BNP qui a crée en 2003 une filiale dédiée à la finance islamique à Bahreïn.