Source :
http://www.bastamag.net/Bienvenue-dans-l-agriculture-de
C’est une promesse pleine d’avenir : nourrir la France sans pesticides, sans engrais chimiques, et quasiment sans pétrole, tout en dégageant de substantielles marges et en créant des dizaines de milliers d’emplois. A la Ferme du Bec Hellouin, non loin de Rouen, on invente cette agriculture de demain. Expérimentant des techniques qui viennent des quatre coins de la planète, cette ferme en permaculture produirait autant voir plus que le système conventionnel. L’exploitation pose les bases d’un nouveau modèle agricole : celui d’un réseau de centaines de milliers de micro-fermes rentables et capables de générer chacune un emploi à plein temps. Reportage.
Ce jour de printemps, Charles Hervé-Gruyer est accroupi au pied d’une butte de terre et repique des navets. Autour, une mare et un cours d’eau où viennent se réfléchir les rayons du soleil, de quoi augmenter légèrement la température de la butte cultivée. Nous sommes ici sur une petite île de la ferme du Bec Hellouin, à une cinquantaine de kilomètres de Rouen, dans l’Eure. Des canards
[1] barbotent et viennent, quand c’est nécessaire, happer les limaces qui menacent les cultures. Sur le côté poussent des roseaux. Une fois broyés, ils serviront de paillage aux jardins afin d’empêcher les mauvaises herbes de pousser. En jeunes pousses, ils seront vendus à un restaurant parisien !
Un peu plus loin, un jardin-forêt – entendez, des arbres et arbustes fruitiers mélangés à des plantes aromatiques et médicinales – abrite les cultures des vents dominants.
« Nous avons créé des petits milieux qui interagissent entre eux, avec une circulation de la matière organique », explique Charles.
« Un cocon de nature vivante, protégée. »
Sur son île, Charles Hervé-Gruyer ressemble un peu à un aventurier… de l’alimentation de demain. Après avoir parcouru le monde sur un bateau école, il a accosté ici, au Bec Hellouin, un petit coin de terre où nourrir sainement ses enfants. Dix ans plus tard, l’endroit est devenu une ferme de référence pour les adeptes de la permaculture, la culture permanente. Près de deux hectares d’herbage au sol, au départ peu fertile, où poussent désormais, en abondance, près de 1 000 variétés de végétaux, fruits, légumes, plantes aromatiques
[2].
Toutes les semaines, 65 paniers de légumes issus de 2 000 m2 dédiés au maraîchage vont régaler les habitants du coin, de la région de Rouen et de Paris. Une autre partie est vendue à un grossiste, qui alimente ensuite un magasin Biocoop. Un restaurant parisien étoilé s’y approvisionne également. A la ferme, un chef cuisinier prépare confitures ou sauces qui sont ensuite vendues sur place.
« Les déchets de l’un font les ressources de l’autre »
En cette fin avril, quatre rotations de culture ont déjà été effectuées depuis le début de l’année. Sous la serre, petits pois, salades et carottes poussent à foison. Les fèves qui grandissent viennent capter l’azote pour alimenter les salades, qui s’étendent au sol et évitent ainsi l’apparition de mauvaises herbes. A la ferme du Bec Hellouin, toutes les cultures sont associées : pas de rangs séparés de carottes, pommes de terre et salades. Mais plusieurs variétés de légumes, aux besoins différents, plantés à proximité, et qui s’alimentent mutuellement. Dehors, des légumes précoces poussent sur une butte dite « chaude », agrémentée de fumier de cheval. Ce dernier se composte en direct sur la butte, et permet ainsi de gagner quelques degrés sur la fin du froid hivernal.
La Ferme est à la pointe de la permaculture.
« C’est s’inspirer de la nature pour nos installations humaines », explique Charles Hervé-Gruyer.
« Les déchets de l’un font les ressources de l’autre. » C’est pourquoi le positionnement des cultures et des éléments, les uns par rapport aux autres, est primordial. L’objectif de la permaculture est de recréer la grande diversité et l’interdépendance présentes naturellement dans les écosystèmes
[3].
« Nous prenons un soin extrême des sols, afin qu’ils soient de plus en plus vivants, fertiles, indique Charles.
Les buttes permanentes, où la terre n’est jamais retournée mais continuellement enrichie, se rapprochent de la nature, car il n’y a pas d’engins qui viennent travailler ici. »
Une agriculture sans pétrole
A la ferme du Bec Hellouin, un tracteur n’est utilisé que pour le transport du fumier, qui vient du club hippique voisin. Au départ, un cheval aidait à retourner la terre. Jusqu’à ce que se développent les buttes permanentes, qui n’ont plus besoin d’être retournées.
« La permaculture prévoit ce monde inédit, sans pétrole », note Charles qui déplace dans ses jardins sa brouette atelier, avec l’ensemble des « petits » outils dont il a besoin au quotidien. Une agriculture de la connaissance, qui n’a rien à voir avec l’agriculture conventionnelle actuelle.
« Avec l’agriculture moderne, vous recevez un mail de la chambre de l’agriculture qui vous dit : il y a telle invasion d’insectes, voici le produit que vous pouvez mettre. A vous de jouer ! » Rien de tel ici. Pas d’application numérique pour savoir quel pesticide épandre et quand.
L’agriculture menée au Bec Hellouin utilise très peu de pétrole. Loin derrière l’agriculture conventionnelle, et même, l’agriculture biologique.
« Dans l’agriculture conventionnelle, pour produire une calorie d’alimentation, il faut 10 à 12 calories d’énergie fossiles, explique Charles.
Le bio tente d’utiliser le moins possible d’engrais de synthèse mais nécessite beaucoup d’engins dans les champs. » Moins de pétrole, donc plus de travail à la main, minutieux, pour garantir sur le long terme une extraordinaire biodiversité des sols.
« L’agriculture moderne cherche à atteindre une rentabilité à court-terme, en brûlant les réserves carbonifères. Nous, nous prenons notre temps. Le but de mon travail est que mes enfants puissent en profiter durablement. »
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